vih Recherche et prévention : répondre aux défis éthiques posés par la PrEP

22.03.21
Romain Loury
7 min
Visuel Recherche et prévention : répondre aux défis éthiques posés par la PrEP

L’ONUSIDA et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont publié une mise à jour du document d’orientation sur les considérations éthiques relatives aux essais de prévention du VIH. Cette actualisation, publiée 21 ans après la première édition, s’attache à répondre aux questions posées par les nouvelles formes de prévention du VIH. Les deux organisation mettent ainsi en avant une solution de type « opt out », qui n’est pas sans poser question.

Avec une efficacité proche de 100% – lorsque l’observance est optimale -, la PrEP constitue à ce jour l’outil le plus abouti en matière de prévention du VIH. En 2014 en prise continue, puis en 2019 dans un schéma « à la demande », l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a intégrée à son « pack standard de prévention », au même titre que le préservatif, le traitement post-exposition (TPE), la circoncision et le traitement d’autres IST.

Si la PrEP est hautement efficace, elle n’est recommandée qu’aux personnes à risque élevé d’infection. De l’avis général, d’autres outils préventifs seront nécessaires pour contrôler l’épidémie. Les recherches se poursuivent sur d’autres formes de PrEP (injectable de longue durée d’action, implants sous-cutanés, anneaux intravaginaux, etc.), mais aussi des anticorps neutralisants injectables, et bien sûr des vaccins.

« Si la PrEP était la solution universelle, beaucoup plus de personnes la prendraient. Le vaccin sera une révolution, y compris en termes de coût : une ou deux injections vaccinales coûteront bien moins cher que la PrEP. Pour la contraception féminine, il existe notamment la pilule, les contraceptifs injectables, les implants, les stérilets. La prévention du VIH, c’est la même chose », explique Joseph Larmarange, démographe en santé publique au Centre population & développement (Ceped, IRD/université de Paris) et coprésident du comité scientifique sectoriel « santé publique et sciences sociales » (CSS114) de l’ANRS [i].

En matière de prévention du VIH, une nouvelle étape vient d’ailleurs d’être franchie, avec la publication, début novembre 2020, de résultats de l’essai HPTN084, mené dans sept pays d’Afrique : une PrEP injectable de longue durée d’action (toutes les huit semaines), composée de l’anti-intégrase cabotégravir, s’est avérée supérieure à la PrEP orale à base de Truvada.

Un standard de prévention boosté par la PrEP

Au-delà des comparaisons d’efficacité, les essais de prévention s’avèrent bien plus délicats à élaborer depuis l’arrivée de la PrEP orale. En cause, le fait que les investigateurs ont l’obligation éthique de garantir aux participants l’accès au standard de prévention de l’OMS – dont la PrEP. Or comment évaluer l’efficacité d’un outil préventif chez des participants potentiellement protégés à près de 100% ? La question est particulièrement aiguë pour les vaccins, dont les seuls résultats positifs à ce jour, ceux de l’essai Thaï en 2009, ont montré une efficacité préventive de seulement 31,2%.

D’où le dilemme éthique auquel ces essais sont confrontés : d’une part, les investigateurs doivent offrir aux participants le meilleur de la prévention ; d’autre part, ils ne peuvent évaluer le produit testé que si le nombre d’infections est assez élevé, afin qu’une différence émerge entre les participants du groupe testé et ceux du groupe témoin.

La question n’est pas nouvelle : elle s’est posée dès 2010, une fois connus les résultats d’Iprex, premier essai de phase III à démontrer l’efficacité de la PrEP. Lors de la conférence de l’International AIDS Society (IAS) de Rome en juillet 2011, associations et scientifiques étalent leurs désaccords sur l’utilisation d’un placebo lors du futur essai français Ipergay, qui portera sur une PrEP à la demande.

Même accompagnée de préservatifs et de counseling, l’utilisation d’un placebo comme comparateur de la PrEP « devient limite à ce moment-là », se rappelle Hugues Fischer, représentant d’Act Up-Paris au TRT-5 CHV. Quant à l’étude britannique Proud, ses investigateurs contourneront l’écueil en optant pour une stratégie PrEP immédiate contre PrEP différée, en schéma continu. « Ces deux essais sont passés, mais avec l’idée que ce serait la dernière fois qu’on utiliserait un placebo comme comparateur », ajoute Hugues Fischer.

L’« opt out », solution avancée par l’OMS

Si la question s’est régulièrement invitée dans les conférences scientifiques, l’OMS et l’Onusida viennent de s’en saisir officiellement. Fin janvier, les deux organismes onusiens ont actualisé leur document d’orientation sur les considérations éthiques relatives aux essais de prévention du VIH, édictés en 2000. Sous couvert de dépoussiérer ce document, inchangé depuis 2012, c’est bien « l’arrivée récente de la PrEP et le développement attendu d’autres outils hautement efficaces de prévention » qui constitue le motif principal de cette révision, reconnaissent l’OMS et l’Onusida.

Pour dénouer le problème, les deux organismes mettent l’accent sur l’approche mise en place dans l’essai vaccinal Mosaico, lancé en 2019 en Amérique du Nord, du Sud et en Europe. Les volontaires (HSH et transgenres) se voient d’emblée proposer la PrEP : ceux qui y recourent déjà, ou souhaitent le faire, sont écartés de l’essai ; seuls ceux ne désirant pas en bénéficier seront randomisés entre vaccin et placebo. Tout au long de l’essai, ils garderont la possibilité de s’orienter vers la PrEP, mais sans être exclus de l’étude.

Si cet « opt out » initial a les atours de l’éthiquement correct, plusieurs experts mettent en garde contre le risque d’une communication biaisée. Pour Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses des hôpitaux Saint-Louis et Lariboisière [ii], « il ne faut pas que ce soit un cache-misère. Il faut s’assurer que les gens ont bien le droit de changer d’avis, qu’ils comprennent à tout moment qu’il y a d’autres solutions ». « L’éthique repose sur la déontologie de l’équipe : leur intérêt c’est que les gens refusent la PrEP, d’où le risque que la communication sur la PrEP ne soit pas suffisante », renchérit Joseph Larmarange.

« Pas une solution unique »

Dans un document publié en mars 2020, l’association américaine Treatment Action Group (TAG) évoque d’autres approches, dont celle mise en place dans l’essai PrEPVACC. Lancée en 2018 dans quatre pays africains, cette étude a deux objectifs : primo, comparer deux régimes de PrEP (Truvada contre Descovy) ; secundo, évaluer deux combinaisons vaccinales, comparées à un placebo. Pendant les 24 semaines suivant la première injection vaccinale (vaccin A, vaccin B ou placebo), les participants recevront l’un ou l’autre des régimes PrEP. La PrEP sera interrompue au bout de 24 semaines, l’éventuel effet préventif étant alors assuré par le vaccin.

« Il n’existe pas une solution unique : pour chaque essai, il faut des discussions en amont avec les chercheurs, avec les représentants communautaires et avec les comités éthiques », estime Joseph Larmarange, qui fait écho à la nécessaire consultation prônée par l’OMS et l’Onusida. Pour Hugues Fischer, « il faut continuer à faire de la recherche vaccinale, à faire des essais sur d’autres solutions de PrEP. Nous n’avons pas fini de parler de ce sujet ! ».

Notes

[i] Joseph Larmarange dirige l’étude interventionnelle ANRS 12381 PRINCESSE, qui vise à évaluer une offre de soins décentralisée auprès de 500 travailleuses du sexe en Côte d’Ivoire. Elle comprend une offre de PrEP, une prise en charge précoce des femmes infectées par le VIH, le dépistage et le traitement des IST et de l’hépatite B, ainsi qu’une offre de contraception.

[ii] Jean-Michel Molina est par ailleurs l’investigateur principal de deux essais ANRS sur la PrEP, Ipergay et Prévenir. Mené depuis mai 2017 en Île-de-France sur plus de 3.000 volontaires à haut risque d’infection, ce dernier essai évalue l’efficacité en vie réelle de divers régimes PrEP, à la demande ou quotidien.

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