Red ribbon monument, Durban – Mémoire individuelle et mémoire collective 

Après le monument de New-York et parmi la centaine d’autres qui commémorent la pandémie du sida dans le monde, Transversal vous propose de découvrir celui de Durban, deuxième ville de l’un des pays les plus touchés par le VIH, l’Afrique du Sud. 

Clive van den Berg

« Gugu Dlamini a révélé sa séropositivité à la radio et à la télévision lors d’une campagne de prévention et d’information sur le sida. Sa déclaration a déclenché son agression par une foule extrêmement violente qui est à l’origine de sa mort, survenue le 14 décembre 1998 ». Ces mots sont gravés sur la plaque commémorative fixée à proximité du monument situé à l’entrée du parc, rebaptisé en l’honneur de la victime, Gugu Dlamini Park.

Bénévole de l’Association nationale des personnes vivant avec le VIH/SIDA, Gugu Dlamini est l’une des premières sud-africaines à avoir dévoilé, en public et en langue zoulou, sa sérologie virale. A la suite de quoi, la jeune femme, âgée de 36 ans au moment des faits, a été lapidée et poignardée dans le township où elle vivait. Au tournant du XXIe siècle, la stigmatisation sexuelle d’une femme séropositive a bouleversé l’ordre social d’une métropole de plus de trois millions d’habitants.

Garder vivante la mémoire d’un destin singulier et d’une histoire collective

En l’an 2000, l’Afrique du Sud comptait 4,2 de malades du sida pour une population de 40 millions d’habitants. Malgré l’urgence sanitaire nationale, la période de transition constitutionnelle (1992-1996) – marquée par l’abolition des dernières lois d’apartheid (1991) et par l’élection de Nelson Mandela (1994) – et la présidence de Thabo Mbeki (1999-2008) se caractérisent par une série d’incohérences gouvernementales en matière de lutte contre le sida. Dans le même temps, le corps médical était, lui aussi, pris dans des contradictions qui ont alimenté les controverses. La complexité des rapports de force entre pays riches et pays pauvres, entre gouvernements et compagnies pharmaceutiques et entre gouvernements du Nord et du Sud, autorisant le président Thabo Mbeki et son ministre de la Santé à mettre en cause, en avril 2000, l’origine de la maladie ainsi que l’efficacité de l’AZT (Zidovudine) causant des milliers de morts. Au tournant du XXIe siècle, au plus haut niveau de l’Etat, en Afrique du Sud – mais pas uniquement – des décisions inappropriées ont altéré durablement l’image des politiques de santé publique.  

C’est dans ce contexte particulièrement dramatique – en l’an 2000, seulement 90 personnes étaient sous traitement en Afrique du Sud – qu’a été inauguré le 8 juillet 2000, en urgence, à la veille de l’ouverture de la 13e Conférence internationale sur le sida de Durban, le Red ribbon monument. Comme son nom l’indique, ce monument reprend la forme et la couleur du célèbre ruban. En métal et d’une hauteur d’environ 9mètres, il se dresse au sommet d’un dôme couvert de mosaïque, à l’entrée du Gugu Dlamini Park, parc situé au centre de Durban.

Symbole mondial de la lutte contre le sida, le ruban rouge a été créé en 1991, soit une dizaine d’années après le début de l’épidémie, par un collectif new-yorkais anonyme qui a souhaité que son graphisme soit libre de droit. Popularisé par des stars comme Jeremy Irons, Freddie Mercury et George Michael, il amène à penser ensemble la notation mathématique de l’infini, coupée à l’une de ses extrémités ; la couleur rouge, évocatrice de la passion amoureuse et du sang ; la verticalité, signe de la station debout et de la transcendance humaine.

Commande de la ville de Durban, le dôme était à l’origine l’élément central d’une fontaine monumentale, dessinée par l’agence d’architecture Hallen, Theron & Partners, chargée de l’aménagement des abords du Parc et d’un parking. Au sommet du dôme, une structure métallique tubulaire – pyramide effilée contenant trois cubes de taille décroissante – s’élevait au milieu d’une multitude de jets d’eau. En retombant, l’eau magnifiait les couleurs des tesselles de céramique du dôme et du bassin circulaire. Les dessins en céramique se prolongeant au-delà de la margelle, sur le sol de la place alentour, en un chatoyant parterre coloré d’environ 400 m2. Dans un graphisme stylisé, inhérent au passage du carton à la mosaïque, les dessins de Clive van den Berg donnaient à voir des éléments de la culture visuelle locale : animaux, fleurs, etc.

Le ruban rouge a été installé sur le dôme sans concertation avec l’artiste et, faute d’entretien, les jets d’eau aujourd’hui ne fonctionnent plus. « L’histoire complexe des préjugés, la loi du silence et la désinformation qui ont précédé les campagnes de traitement antirétroviral de masse ne sont représentées, en aucune manière, par le ruban » remarque, à juste titre, Clive van den Berg.

La force de l’art

Comme en témoigne le monument de Durban, histoire individuelle et histoire collective sont indissociables et, en matière de sida, comme en matière d’art, l’illusion de la connaissance immédiate est un leurre. Droit de mémoire et droit d’accès à l’information ne pouvant se concevoir l’un sans l’autre, il semble opportun de souligner ici que la plaque gravée au nom de Gugu Dlamini constitue l’un des éléments du monument et de rappeler, entre autres, qu’en 2006, l’Afrique du Sud a été le premier pays d’Afrique à légaliser le mariage homosexuel et qu’en 2018, elle comptait 7,7 millions de personnes contaminées pour 57,7 millions d’habitants. En 2018, 62 % étaient sous traitement et 54 % avaient une charge virale indétectable.

Lorsqu’il parvient à éviter l’instrumentalisation, l’art est une voie royale d’accès à la compréhension des réalités individuelles et collectives les plus complexes. Aussi l’on pourrait souhaiter, puisque le contexte de la lutte contre le sida s’est radicalement transformé en Afrique du Sud, que les commanditaires du Red ribbon monument, en concertation avec les associations locales et les riverains du parc, invitent Clive van den Berg à exercer sa sensibilité d’artiste pour une cause qui se trouve être l’un des fils conducteurs de son œuvre actuelle, comme en témoigne Men Loving ou Frontier Erotics. Manière d’honorer et de maintenir vivante la mémoire de Gugu Dlamani et des victimes du sida, tout en prenant en compte l’histoire des Sud-Africaines et des Sud-Africains.