Association Envie : Hervé Rivier, une vie vouée aux autres
Après 18 ans passés à la présidence d’Envie, association montpelliéraine de lutte contre le sida, Hervé Rivier a tiré sa révérence en septembre. Figure bien connue du milieu associatif local, plusieurs rencontres décisives l’ont amené à s’engager contre le sida. La plus importante : Luc, l’homme de sa vie.

Sur une photo en noir et blanc, le visage solaire d’un jeune homme qui sourit à la vie. Celui de Luc, qu’Hervé Rivier a rencontré en juin 1974, dans un sauna parisien: « je suis tout de suite tombé sous le charme. Entre nous, ça a aussitôt accroché, nous sommes restés ensemble 33 ans ». Jusqu’au décès de Luc en juillet 2007, le corps et l’âme épuisés par des années de lutte contre la maladie, la dépression et l’alcool. Sans le cette rencontre, Hervé, employé de banque parisien, n’aurait pas suivi le même chemin.
Le premier tournant survient durant l’été 1985, à Montpellier. Tout juste débarqués de Paris afin de tenter leur chance dans le sud, Hervé et Luc apprennent leur séropositivité. Une révélation dont Hervé garde un souvenir « curieux »: « Sur le moment, je n’étais pas du tout inquiet. Je l’ai même plutôt pas mal pris sur le moment, mon compagnon aussi. D’ailleurs nous n’en avons jamais trop parlé ensemble. Bien sûr, nous avons très vite dû assister aux obsèques des autres ».
Les premières complications surviendront un an plus tard: fin 1986, Luc endure ses premières fatigues persistantes. Le couple ferme son restaurant montpelliérain et regagne Paris. Hervé retrouve son travail en agence bancaire; Luc va de mal en pis, et doit être hospitalisé. C’est un lymphome de Burkitt, cancer des cellules sanguines. « En deux mois passés à l’hôpital, ses cheveux sont tombés, il a perdu du poids. A sa sortie, il avait vieilli de 20 ans. D’ailleurs, il ne s’en est jamais vraiment remis », se rappelle Hervé.
A force de chimiothérapie, le lymphome disparaît, mais le moral s’étiole. Contraint à l’inactivité, Luc déprime de « son physique et de sa solitude ». « Il a commencé à boire. Pendant six ans nous avons vécu l’enfer, je n’en pouvais plus », se souvient Hervé. En quête de soutien, celui-ci se rend en 1996 auprès de l’association Aides. Ce sera son premier contact associatif, début d’une trajectoire que le récent quinquagénaire n’imagine alors pas le porter aussi loin. « Nous avons eu la visite de deux volontaires de Aides. C’est là que j’ai découvert ce qu’était un accompagnant. Ils passaient pas mal de temps avec Luc, et nous sommes devenus amis », se souvient-il.
Retour à Montpellier
Au cours de l’été 1999, Hervé et Luc, saturés de Paris, repartent s’installer près de Montpellier. Luc ne va pas mieux, et enchaîne « infections et tentatives de suicide ». « Je n’avais qu’un objectif, essayer de l’aider comme je pouvais, le débarrasser de ses démons. Ca m’a peut-être aussi aidé à faire taire les miens, ce qui fait que je suis dans l’état où je suis 30 ans après », estime Hervé. S’il garde son humour et sa lucidité, son corps a pris des coups: frappé par un infarctus à 47 ans, il a subi un triple pontage coronarien il y a quelques années.
A Montpellier, Hervé se met rapidement à la recherche d’un psychologue pour Luc. Ce sera Grégory Bec, fondateur deux ans auparavant de l’association Envie. Créée en 1997, celle-ci apporte soutien moral et physique aux personnes vivant avec le VIH. « J’ai été immédiatement séduit par cette association. Je sais gré à Grégory d’avoir ouvert ce lieu qui a fait du bien à beaucoup de personnes. C’était d’ailleurs un moment où il fallait créer un projet de vie, après des années d’un projet de mort ». Quand Grégory Bec décide de quitter l’association, début 2002, Hervé a « peur que l’association disparaisse. Je me suis aussitôt présenté au conseil d’administration. Trois jours après mon élection, j’étais président ».
Malgré ses quelques contacts avec le monde associatif, Hervé reconnaît avoir été « inculte » à son arrivée à la tête d’Envie. « J’avais des connaissances financières du fait que j’avais travaillé dans une banque. Et j’ai joui du fait que j’étais vieillissant, anciennement contaminé, dans un état encore présentable », s’amuse-t-il. Au début des années 2000, les priorités de la lutte contre le sida ont changé: si le combat médical n’est pas gagné, les trithérapies sauvent enfin la vie. Mais les besoins sociaux demeurent criants. Hervé s’engage contre les discriminations, pour la reconnaissance de la place des personnes séropositives dans la société, afin qu’elles ne soient plus réduites à des personnes malades.
Changer les mentalités, premier des combats
Pour Hervé, « le principal combat qui reste encore à mener, c’est de faire changer le regard des gens sur les personnes qui vivent avec le VIH. La plupart d’entre eux ne savent pas que les personnes sous traitement et dont la charge virale est indétectable ne peuvent pas transmettre le VIH à qui que ce soit. Cela change aussi le regard des personnes sur elles-mêmes: elles se sont longtemps perçues comme des instruments de mort, chaque fois qu’elles faisaient l’amour ».
Ce combat pour le changement des mentalités, Hervé l’a aussi mené au sein de la Lesbian and Gay Pride Montpellier (devenue Fierté Montpellier Pride), organisatrice de la Marche des fiertés. Trésorier jusqu’en mars 2013, il en a démissionné lors de l’adoption de la loi autorisant le mariage pour tous, qu’il perçoit comme l’achèvement d’un combat. Malgré son attachement à la cause gay, Hervé porte un regard désabusé sur ce milieu, dont il regrette l’insuffisante conscience de la question du VIH: « dès que vous parlez du sida, c’est tout juste si vous ne videz pas la salle ». Mais au-delà du hiatus persistant entre les deux combats, l’atmosphère gay-friendly de Montpellier, qu’Hervé attribue au maire Georges Frêche (1977-2004), a facilité les rapports avec plusieurs politiques locaux, attentifs à la question du VIH.
Des associations en grande précarité
Désormais âgé de 74 ans, l’ancien président d’Envie se montre inquiet pour la lutte contre le sida: « il y a un problème de financement, et le confinement n’a rien arrangé. Nous avons dû supprimer les à-côtés, car il n’y a plus d’argent pour ce qui aide les gens à vivre, qui sont pour eux des choses essentielles. Comme les subventions sont fléchées selon des critères propres à chaque financeur, certaines activités sont en voie de réduction, voire prochainement de disparition ». Si Envie offre écoute psychologique, shiatsu, massages et séances d’ostéopathie, plusieurs de ces offres sont ainsi menacées. Fait symptomatique, l’association a été contrainte de supprimer, il y a plusieurs années, son traditionnel repas de Noël et ses ateliers de cuisine, faute de budget.
Au-delà de la situation fragile des associations, chez Envie et bien d’autres, Hervé craint pour la lutte contre le sida. « C’est dur tout ça, c’est un sacré combat, et je ne suis pas persuadé qu’on le gagnera d’ici peu… si on le gagne. La médecine le gagnera peut-être un jour, mais quand? Le plus dur, c’est de voir l’indifférence maintenant par rapport à la cause, le regard discriminant de la majorité des gens. Je suis un peu triste devant la tournure des choses. C’est aussi pour ça que je veux m’en aller maintenant ». Principal orateur de la manifestation du 1er décembre sur la place de la Comédie, lors de la journée mondiale de lutte contre le sida, Hervé compte aussi laisser sa place: « je ne prendrai pas la parole, j’aimerais bien, mais je pense que ce n’est pas bien. Il faut que quelqu’un d’Envie s’attribue ce rôle ».
Se retournant sur sa vie, Hervé « n’imaginait pas qu’[il pourrait] mourir dans les deux mois comme on le disait à l’époque, mais ne pensai[t] pas non plus qu’[il vivrait] aussi longtemps ». « Au final, quand je regarde mon parcours, j’en suis assez fier. J’ai eu un comportement altruiste qui m’a étonné », conclut-il de sa voix douce. Un altruisme envers les personnes vivant avec le VIH. Et un amour sans bornes pour Luc.